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Témoignage en écho de la journée du 29 mars 1960.

dimanche 6 avril 2008, par Claude GRANDJACQUES

Le témoignage du général Dugast, à 47 ans de là, corrobore parfaitement les courriers d’Alain.


Alain écrit à ses deux frères sous l’uniforme. Il avait besoin de se confier. Par contre silence radio avec les parents.

Courrier d’Alain page 159 du livre.

Cher Claude Aït el-Azis le 31 03 1960

Je t’envoie un petit mot, juste pour pouvoir parler à quelqu’un et je ne peux en parler à la maison.

Tu sais que depuis que nous sommes ici, ça commence à faire du travail.

Il y a quelques jours dans une opération de l’après-midi, nous avons tué 2 rebelles et fait un prisonnier.

Ce brave P.I.M. (1) nous a conduits à une cache située dans une falaise quasi verticale : c’était de l’alpinisme ! Mais l’alpinisme et la guerre c’est deux choses différentes. Nous étions un groupe à avoir passé par une voie détournée et rejoindre l’endroit où se trouvait la cache : ils nous ont laissés approcher à 50 m environ et de là : trois coups de fusil, deux blessés chez nous !

L’un, une grosse blessure au bras, c’était notre maître chien, l’autre, une petite blessure à la cuisse, notre adjudant-chef. J’ai ramené le maître-chien pendant que F.M. et les autres P.M. faisaient du tir de protection, puis tout le monde s’est replié. On y a envoyé l’aviation qui a canardé avec mitrailleuses et roquettes pendant un bon moment ; Puis nous avons ravancé pour essayer de les avoir : deux, trois coups de feu et notre lieutenant (*) est blessé d’une chevrotine à la jambe, on se replie à nouveau.

Les hélicos sont venus avec le SS11 (2), le Sikorski avec sa mitrailleuse, puis le napalm, les flammes étaient à peine éteintes que l’on voit la tête d’un rebelle derrière un rocher, on les voit pour la première fois ! Un coup de fusil et on le voit basculer de son rocher.

Comme notre moral n’était pas très haut, le commando des grottes est héliporté. Il tire des roquettes à l’arsine, un gars qui bouclait le haut de la falaise est intoxiqué, ce n’est pas trop grave heureusement.

Puis ils sont montés avec leurs masques : il y avait deux morts, les autres, mystère, surtout que la nuit était là.

On est redescendu quand même. Depuis le matin nous n’avions qu’un petit casse-croûte dans le ventre et nous arrivons à 23 heures au camp.

Tu vois, on ne s’amuse guère, mais enfin on tient le coup, c’est le principal.

Je termine, bien que je n’aie parlé que de moi. Je t’embrasse bien fraternellement. (Depuis quelque temps, on arrête pas mal de gens dans les villages alentour : collecteurs de fonds etc.…eux aussi ne doivent pas rire).

Je termine en t’embrassant fraternellement.

Alain

(1) Prisonnier Interné Militaire. (2) Missile antichar téléguidé ou filoguidé.

Courrier d’Alain. Page 161 du livre.

Cher Jo, (frère cadet d’Alain). Ait- El-Azis le 04.04.1960

J’ai reçu aujourd’hui une de tes lettres et je constate que tu te paies du bon temps, profites-en lorsque tu seras ici ce ne sera plus la même …. Car depuis quelque temps on ne rigole guère.

C’est pour cela si j’ai un conseil à te donner, tiens-toi peinard et essaie de passer 14 mois en France, et même si tu peux y passer sergent pour y faire 18 mois. Souviens-toi toujours que lorsqu’on change d’adresse, on sait ce que l’on perd, mais on ne sait pas ce que l’on trouvera.

Enfin, je ne fais pas de mauvais esprit, j’essaie seulement de te donner des conseils.

Ici depuis quelque temps ce n’est pas rose (n’en parle surtout pas à la maison) : nous avons eu trois blessés à la section depuis que nous sommes ici : un de deux balles de P.M. à la cuisse, un autre d’une balle de fusil au bras, et l’adjudant-chef, de transpercé à la cuisse, mais pas bien grave, à part un Lt (*) qui a eu une chevrotine à la cuisse, c’est toujours nous qui avons morflé.

Nous avons essayé de réduire une grotte sur une falaise quasi verticale, mais deux corniauds y étaient bien postés et en deux coups de fusil au départ, ils ont fait deux fois mouche. On a beau eu faire tirer l’aviation, les roquettes télécommandées SS 11, faire tirer les mitrailleuses sur Sirkoski, le napalm, il a fallu que le commando des grottes vienne les asphyxier avec des roquettes à l’arsine.

Enfin, on les a eus quand même …..

Enfin, il ne faut surtout pas se faire trop de tracas, car cela ne peut pas s’expliquer sur lettre, tu vois, on s’en tire quand même. 73 au jus.

Je t’embrasse fraternellement. Alain.

(*) Il s’agit du Général Yves Dugast, décédé en juillet 2007 dont je salue avec émotion la mémoire. Nous avons eu l’occasion d’échanger des informations sur cette période. En mettant aujourd’hui cet article en ligne sur le site, j’ai une pensée chaleureuse pour lui. Il m’avait donné en son temps l’autorisation de reproduire une partie de son cahier de marche personnel dans lequel est relatée cette journée éprouvante. Il était alors lieutenant à la SEM du 7e BCA et avait bien connu Alain. Il était encore à l’hôpital lors du décès d’Alain.

Son témoignage corrobore parfaitement la rédaction d’Alain. L’action se passe au sud du village d’Agaouch en Grande Kabylie.

La blessure ……

Au mois de janvier 1960, je fus désigné pour suivre un stage de ski d’un mois à l’E.M.H.M. de Chamonix. Je ne fis pas beaucoup de progrès en ski que je touchais d’ailleurs pour la première fois, mais j’ai bien profité de Chamonix.

Quand je suis rentré au 7, le bataillon avait déménagé plus à l’est. Le P.C. s’était installé à Tassaft-Ouguemoun et la 3e compagnie, dans la vallée des Akbils. Nous étions voisins du 6e B.C.A.. J’étais au poste central avec le capitaine et deux sections. La population, là aussi, était très hostile, mais de plus, il y avait beaucoup de fellagas dans le coin. Les accrochages étaient donc fréquents, mais pratiquement sans perte pour nous, car les fellagas n’insistaient pas.

Le 29 mars 1960, nous sommes partis, le capitaine, moi-même et les deux sections pour exploiter un renseignement donné par un prisonnier que nous avions capturé la veille dans une cache.

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Retour d’opération dans la forêt d’Aït Ouabane au sud d’Aït el Azis entre les cols de Tirourda et de Tizi n’Kouillal.

Selon lui, un groupe de fellagas se tenaient dans une grotte située près de la crête nous séparant de la vallée des Ait Ouabane à environ 1 500 mètres d’altitude. D’en bas, on voyait très bien l’entrée de la grotte. Nous mettons plusieurs fusils-mitrailleurs en batterie dans la direction de la grotte et envoyons un groupe de combat soit une dizaine d’hommes pour voir comment cela se présente.

Au bout d’un certain temps, nous entendons des coups de feu et voyons revenir le groupe. Il avait trouvé un itinéraire, mais n’avait pu déboucher, car il s’était fait allumer et avait même un blessé une balle dans le coude).

Or un avion d’appui au sol (un T6) tournait dans le secteur et le capitaine obtint l’autorisation que l’avion nous appuie. Il est en effet arrivé et a tiré plusieurs rockets sur l’entrée de la grotte. Cela faisait un bruit de tonnerre et la paroi rocheuse vibrait.

L’action terminée, j’ai proposé au capitaine d’y retourner avec un groupe et nous avons pris l’itinéraire découvert par le groupe précédent. Il fallait se porter sur la droite et grimper (avec les mains, mais sans difficulté) dans les rochers. On accédait alors à une vire étroite (avec un vide de 30 mètres sur la gauche) qui permettait 100 mètres plus loin d’arriver à une plateforme herbeuse sous la grotte.

J’étais déjà bien engagé sur la vire avec simplement un éclaireur de pointe 20 mètres devant moi qui était déjà presque arrivé à la plate-forme quand j’ai ressenti un coup violent dans la jambe gauche comme si elle était fauchée et, de ce fait, je suis tombé dans le vide.

Heureusement, 2 mètres dessous, un petit arbre avait poussé à l’horizontale dans la paroi et je suis tombé dedans comme dans sur un matelas (au lieu de m’écraser 30 mètres plus bas). Le chef de groupe qui me suivait a fait alors tirer toutes les armes disponibles sur l’entrée de la grotte (l’éclaireur de pointe a pu se replier sans problème) et 2 ou 3 types ont attaché leur ceinturon pour me hisser (nous n’avions pas de corde).

Revenu sur la vire, j’ai pu voir que j’avais un trou au genou gauche, cela ne saignait pratiquement pas et j’avais très peu mal et, de plus, j’arrivais à marcher. J’ai donc désescaladé les rochers ce qui n’était certainement pas très bon pour le genou d’autant plus que de toute évidence la balle était restée dedans, mais une évacuation en brancard aurait été vraiment très difficile dans cette falaise.

En bas m’attendaient un brancard et deux brancardiers qui devaient me conduire à un hélicoptère qui venait d’atterrir à 200 mètres de là. Mais le terrain était tellement en pente que j’ai versé deux fois du brancard et que je me suis alors décidé à rejoindre l’hélico à pied.

C’était une Alouette2 et le brancard était donc situé à l’extérieur de la bulle ce qui donnait une sensation assez bizarre en vol. Pendant le vol, j’ai vu passer 3 ou 4 hélicos qui transportaient une section de la 1ère compagnie chargée d’aborder la grotte par le haut. J’ai su, par la suite, qu’ils l’avaient atteinte sans problème mais n’y avaient trouvé que deux morts, les autres occupants, si il y en avait, avaient du s’esquiver par le haut avant l’arrivée des hélicos.

L’hélico m’a déposé à l’hôpital de Tizi-Ouzou où l’on m’a opéré sur le champ pour extraire la balle, avant un transfert 2 ou 3 jours plus sur l’hôpital militaire d’Alger pour une nouvelle opération.

3 Messages de forum

  • Témoignage en écho de la journée du 29 mars 1960. 14 novembre 2010 07:04, par aghioul

    LES KABYLES VOULAIENT LEUR INDEPENDANCE QUE FAISAIENT LES FRANCAIS LOIN DE CHEZ EUX

  • Témoignage en écho de la journée du 29 mars 1960. 5 décembre 2010 19:29, par mourad

    Un des maquisards que vous avez tué c’est mon père. Ne regrettez vous pas ce que vous avez fait ?

    • Témoignage en écho de la journée du 29 mars 1960. 7 décembre 2010 09:13, par Claude

      Bonjour Mourad

      Tout d’abord, permettez-moi de vous dire combien je compatis à votre peine : nous n’avons qu’un père et sa disparition constitue toujours un traumatisme souvent visible malgré les années. C’est pourquoi à cinquante ans de distance, je partage bien sincèrement votre chagrin et celui de votre entourage.

      Grâce au site Miages-djebels, vous connaissez dorénavant peut-être mieux les circonstances de la mort de votre père. Le témoignage de mon frère Alain et celui de son lieutenant d’alors auront contribué peut-être à lever une partie du voile. Votre père et ses camarades de combats sont morts en héros pour la cause de l’indépendance de l’Algérie.

      Mon frère Alain comme bien d’autres servant sous l’uniforme, lui est mort en obéissant à nos Gouvernants d’alors qui considéraient que l’Algérie était terre de France, une idée qui n’a plus cours aujourd’hui. Voir à ce sujet le message tout en nuance de notre Ministre des anciens combattants Alain Juppé. http://miages-djebels.org/spip.php?.... Son message a été lu à l’occasion des cérémonies organisées à l’occasion « la Journée Nationale d’hommage aux morts pour la France pendant la guerre d’Algérie et les combats du Maroc et de Tunisie ».

      Alain en effet s’est fait tuer deux mois après la mort de votre père, à quelques jours de sa démobilisation. Comme il aimait les enfants et la population qu’il côtoyait, il avait entrepris les démarches pour revenir en Grande Kabylie comme instituteur.

      Le passé ne nous appartient plus. Par contre, l’avenir est à nous. Alors comme nous l’écrivait dernièrement un fils de chahid de la région d’El Flay « Cinquante ans sont derrière nous, il est temps d’écrire d’autres pages de fraternité entre les peuples ». C’est dans cet esprit que je vous invite à visiter le deuxième site que j’ai créé http://lavoiecherif.miages-djebels....

      Bien fraternellement. Mes amitiés autour de vous.

      Claude


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